C’est dans un contexte mondial en mutation que les grandes enseignes françaises remettent progressivement en cause les bienfaits de la délocalisation à outrance. Développement économique oblige, les pays usines, Chine en tête, se révèlent de moins en moins compétitif, qu’il s’agisse des coûts ou, plus gênant, de la qualité. Revue de détail.
Si jusqu’ici le « made in ailleurs » faisait recette dans l’indifférence générale, le « fabriqué en France » regagne du terrain, tous secteurs confondus. De plus en plus d’entreprises rapatrient leurs activités de production au sein de l’Hexagone.
Retour au pays.
« Le Made in France attire l’œil du consommateur et influence de plus en plus ses achats (Ifop, 2013). Après une délocalisation massive vers l’Asie dans les années 90, c’est le retour au pays » (1). Si en 2009 ce n’est encore qu’un frémissement, la relocalisation des productions de grandes enseignes vers la France tend aujourd’hui à se généraliser. Pourquoi ? Car les lois de la compétitivité ont changé. Plusieurs grandes entreprises semblent ainsi délaisser progressivement la Chine, jusqu’alors destination privilégiée des stratégies de délocalisation, pour rapatrier leurs productions en terre française. Un phénomène qui touche l’ensemble des secteurs. Smoby, le n°1 du jouet en France, annonçait ainsi en 2014 réaliser 70% de ses produits dans l’Hexagone. (2) Au terme de 8 années de relocalisation de ses productions chinoises, l’entreprise jurassienne a ainsi rapatrié 15% de sa production. A la source de ce revirement stratégique, une peur grandissante des parents à l’égard de la qualité des jouets chinois doublée de l’augmentation des coûts de production en Chine. Un changement de cap qui fait de Smoby « l'un des cas les plus spectaculaires de relocalisation » avec une part de production en Chine « qui a été ramenée à de 40 à 20 % » depuis 2008 (3).
Fabriquer tricolore redevient tendance
Beaucoup s’interrogent : d’où provient ce regain d’attractivité de l’hexagone ? Un certain patriotisme économique semble être revenu à la mode. Encouragé par le gouvernement notamment, le principe semble avoir gagné l’esprit des consommateurs comme celui des enseignes. C’est ainsi dès 2012 qu’Arnaud Montebourg, alors Ministre du Redressement productif, appelait la grande distribution à valoriser les produits Made in France. Et « en réponse, la coopérative Leclerc teste en janvier 2013 un rayon Made in France dans quelques-uns de ses supermarchés bretons, notamment à Lanester dans le Morbihan. Des dizaines de produits alimentaires sont ainsi regroupés sous une bannière tricolore imposante portant haut l’inscription « Produits fabriqués en France ». » (5) Tout comme Leclerc, nombreuses sont les enseignes à avoir répondu à l’appel. Mais tous y trouvent un intérêt économique.
Certes, ce retour au pays est tout d’abord la conséquence d’une Chine qui, devenue moins compétitive avec le temps compte tenu d’une hausse inévitable des salaires, a augmenté ses prix. L’intérêt premier de la délocalisation étant de produire à moindre coût, pourquoi poursuivre dans cette voie si ceux-ci se mettent à augmenter ? Smoby illustre bien la double problématique à l’origine de nombre de rapatriement de productions : une qualité souvent discutable à un prix qui ne justifie plus la prise de risques. Il s’agit aussi désormais pour les entreprises de s’adapter au changement de comportement des consommateurs qui, sensibles au principe de précaution, privilégient de plus en plus les produits dont ils connaissent l’origine. Les conséquences d’une fabrication sur le territoire national sont claires : des prix parfois plus élevés pour des garanties assurément supérieures en termes de qualité, et un bon geste pour l’emploi. Il s'agit de « pérenniser des savoir-faire et de garantir une qualité des produits. » (4) Car le « made in France » rassure et attire de plus en plus les consommateurs qui y voient un gage de qualité. Une qualité sur laquelle certains secteurs, encore plus que d’autres, ne peuvent transiger.
« L’argument du « made in France » nous touche tous ».
Cet « impératif qualité » semble régir le comportement et attentes d’une part grandissante des consommateurs désormais. Une variable à prendre au sérieux, d’autant plus dans les secteurs liés à la santé. Dans l’optique par exemple, nombre d’enseignes se sont ainsi mises à privilégier une production française. En 2012 déjà, la coopérative Optic 2000 vendait environ 200 000 paires produites exclusivement dans le Jura. Optic 2000 a ainsi replacé le « made in France » au cœur de sa stratégie de développement, et ce, dès 2011 à l’occasion de son projet « Nouvelle Vision de la vie ». Ce programme « consistait notamment à mettre en place, dans les magasins de l'enseigne, des offres commerciales et des campagnes de communication axées sur le Made in France », traduisant selon Yves Guénin la volonté d’engagement de la coopérative « en faveur de la fabrication française » (6). Mêmes considérations chez une autre coopérative du secteur : Atol, chez qui « une monture sur cinq est française ». Tout comme Optic 2000, la coopérative Atol a décidé il y a plusieurs années de relocaliser une partie de ses unités de fabrication, notamment dans le Jura. Les deux coopératives veulent s’assurer une « garantie qualité », tout en préservant les savoir-faire de la lunetterie jurassienne, berceau historique de la lunette française. Atol, qui « a réussi le pari de la croissance « made in France », (7) a ainsi réduit les coûts dans ses sites de production français en investissant en informatique et robotique. Et le tout, en cinq ans.
Il aura donc fallu un peu de temps mais les grandes enseignes commencent à ne plus voir la délocalisation en Asie comme une solution idéale, voire une solution tout court. Dans tous les secteurs, elles sont nombreuses à se réapproprier le territoire national : un choix qui découle tout autant d’un attachement à leurs racines que d’intérêts stratégiques de plus en plus évidents. D’ailleurs, lorsque Phillipe Peyrard, délégué général de la coopérative Atol en 2013, évoque cette relocalisation généralisée en terre française, il explique qu’« au-delà du patriotisme, il s'agissait pour nous davantage de la bataille de la valeur ajoutée et du produit. » Une chose semble donc indéniable aujourd’hui : « l'argument du made in France nous touche tous » (8) résume le DG d’Atol.
(1) http://www.salonmadeinfrance.com/esprit/retour-au-pays-de-la-delocalisation-a-la-relocalisation/
(5) http://www.salonmadeinfrance.com/esprit/la-grande-distribution-aux-couleurs-du-made-in-france/
(7) http://www.lopinion.fr/25-mars-2015/atol-l-opticien-qui-a-vu-juste-relocalisation-22631
(8) http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0203065063577