Frédéric WAGRETParmi les nombreuses questions que soulève l’utilisation des NTIC, à la frontière d’Internet, de l’informatique et de l’audiovisuel, la protection juridique des logiciels fait l’objet de débats passionnés. Une mise au point semble opportune.

Le logiciel présente la particularité d’être constitué d’un ensemble d’instructions établies selon un langage spécifique destiné à traiter des informations. Schématiquement, ces informations sont soit utilisées telles quelles (calcul, visualisation…), soit destinées à commander le fonctionnement d’appareils ou de machines.

A l’époque de l’apparition des premiers logiciels, on s’est interrogé quant au droit de propriété industrielle ou intellectuelle approprié pour leur protection : brevet ou droit d’auteur ? Droit d’auteur ont déclaré les uns, car issu d’une « création » de l’informaticien qui « écrit » à l’aide d’un langage. Brevet ont répondu les autres, le logiciel étant technique « par essence ».

En fait, chacun a raison, et chacun a tort. Explications.

En France, le législateur est intervenu, ouvrant la voie du droit d’auteur au logiciel :
Article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) : « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : […] Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ».

Donc, le logiciel est protégeable par le droit d’auteur sous réserve de répondre à la condition d’originalité, et étant entendu que la protection est limitée à la forme d’expression du logiciel.

Quid de la protection par brevet ?


Le législateur français répond par la négative au travers de l’article L611-10 du CPI : « Ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa du présent article notamment : […] c) […] les programmes d'ordinateurs ».

En matière de brevet européen, la Convention sur le Brevet Européen tempère sensiblement ce principe en ajoutant une réserve : « Les dispositions du  paragraphe 2 n'excluent la brevetabilité des éléments énumérés auxdites dispositions que dans la mesure où la demande de brevet européen ou le brevet européen ne concerne que l'un de ces éléments, considéré en tant que tel ». [Soulignement ajouté]

Ainsi, seul le logiciel « en tant que tel » n’est pas brevetable.


L’apparente simplicité de la formule « en tant que tel » est trompeuse. Les offices de brevets (INPI, OEB) et les tribunaux ont interprété cette notion en établissant une jurisprudence qui peut servir de guide, avec néanmoins une marge d’incertitude sensible.

De façon résumée et simplificatrice, la jurisprudence considère que, afin de ne pas être exclu de la brevetabilité, le logiciel doit présenter un « caractère technique ». S’il échappe à cette exclusion, le logiciel n’en reste pas moins soumis aux critères usuels de la brevetabilité (principalement nouveauté et activité inventive).

Concernant le « caractère technique », on pourrait être tenté de schématiser de la manière suivante : le logiciel « en soi », ou en tant que suite d’instructions logiques ne faisant que traiter des nombres, sans interaction avec une machine, un appareil (autre qu’un ordinateur, écran, clavier), ne peut pas être breveté.

Rappelons qu’aux Etats-Unis, le paysage est très différent puisque des sociétés, comme Microsoft, ont pu obtenir des brevets pour certaines parties de leurs logiciels. La surprise est donc grande pour les américains lorsqu’ils cherchent à protéger leur logiciel devant l’Office Européen des Brevets.

Revenons en France : en résumé, comment protéger un logiciel ?

 

  1. Effectuer un dépôt auprès d’organismes habilités pour constituer une preuve de la création et prendre date. Même limitée à la forme d’expression du logiciel, ceci permettra de mettre en œuvre la protection par droit d’auteur, sous réserve de la condition d’originalité ;
  2. S’interroger sur les possibilités de protection par brevet, sous réserve de conserver secret ce dernier jusqu’au dépôt (si le brevet est « possible »), étant entendu que le logiciel devra répondre aux critères usuels de brevetabilité, (notamment nouveauté et activité inventive).


La protection par brevet suppose une analyse factuelle, au cas par cas. Si la décision de breveter est prise, la rédaction de la demande de brevet demande beaucoup de soins pour éviter tout rejet de l’office des brevets (INPI, OEB).

A cet égard, le Conseil en Propriété Industrielle, membre d’une profession règlementée, mettra au service de l’entrepreneur ou du créateur ses compétences et sa connaissance de la jurisprudence.


Frédéric WAGRETFrédéric WAGRET
Conseil en Propriété Industrielle
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