Article rédigé par S. ANSART & R. DUYMEDJIAN
C’est dans le contexte de la présente crise économique et financière que le gouvernement français a créé un nouveau statut d’entreprise dont la caractéristique essentielle réside dans des démarches allégées de création et de suivi comptable et fiscal. L’objectif est ainsi de proposer un statut permettant de faciliter l’engagement des individus dans une activité entrepreneuriale alors que la crise engendre à la fois une augmentation du chômage et une diminution de l’offre d’emplois.
Ce nouveau statut amène une forme de réponse aux problèmes de l’emploi mais suscite également un certain nombre de critiques dont deux essentielles : il renforcerait la précarité de l’emploi et serait à l’origine d’une concurrence jugée déloyale pour notamment les artisans du bâtiment.
Au-delà de ce panorama assez récurent qui est dressé de ce nouveau statut, une autre facette mérite notre attention. Le statut de l’auto-entrepreneur semble propice à la mise en œuvre de certaines caractéristiques de durabilité qui trouve de moins en moins les moyens de s’exprimer dans la sphère des grandes entreprises.
La logique de court terme est celle qui s’impose aux grandes entreprises. En référence aux exigences avancées des actionnaires et des clients, sont instaurées des stratégies où prédominent des recherches systématiques de réduction de coûts et d’innovations.
La grande entreprise est bien sûr créatrice de valeur mais en même temps à l’origine d’un double processus d’obsolescence forcée des compétences des individus :
- à la fois en termes de compétences-métier puisque sont de plus en plus valorisées les compétences relationnelles et généralistes au détriment des compétences métier : des expertises techniques se perdent
- et en termes de compétences considérées comme caduques de plus en plus tôt : l’âge toujours plus bas (une récente étude faisant état de 45 ans !) à laquelle les entreprises considèrent leurs salariés ou éventuels salariés comme entrant dans l’âge de la séniorité.
Le statut de l’auto-entrepreneur semble offrir une alternative intéressante à la fois en termes de possibilités de se créer son propre emploi mais aussi de constituer un espace où la durabilité de la compétence puisse retrouver un champ élargi d’expression.
Le statut de l’auto-entrepreneur correspond pour l’essentiel à 3 cas de figure :
- il peut permettre à un individu qui ne retrouve pas auprès des entreprises un emploi de construire sa propre activité et constituer ainsi le germe d’une future PME
- il peut constituer un moyen d’explorer un gisement de valeur lié à une niche
- il est le moyen pour un individu de se construire un projet de fin de vie économique
Dans chacun de ces cas –mais peut être de manière plus affirmée dans le dernier - le statut d’auto-entrepreneur vient soutenir la durabilité de la compétence.
Pourquoi ?
Rappelons tout d’abord que l’entrepreneur dans le contexte de ce statut œuvre seul. De fait, quelques caractéristiques essentielles dessinent son mode d’action, son évaluation et ses objectifs :
- Son mode d’action repose sur une proximité (avec les outils et instruments utilisés, les produits et les services créés, les clients, les éventuels fournisseurs, …) qu’il a pu souvent perdre dans ses activités antérieures : ses différents sens sont de nouveau sollicités de manière plus intenses que cela ne pouvait être le cas dans des grandes structures. Les compétences métier retrouvant leur intérêt et leur sens.
- Seul gérant à bord, et seul acteur de sa production, l’auto-entrepreneur est le seul évaluateur de sa compétence et de sa mise en œuvre. Il dessine son activité et son organisation comme il le souhaite. Souvent limité en termes de moyens, l’auto-entrepreneur est ainsi souvent un bricoleur, entendu comme celui qui fait avec ce qui est à porter de mains. L’auto-entrepreneur s’inscrit rarement dans un processus idéal et ingéniorisé de son activité professionnelle. Cela n’enlèvera rien a priori à la qualité des produits ou prestations fournis, mais supposera que les préoccupations en termes de qualité ne relèvent pas d’une conformité à l’état des arts pour les diverses actions nécessaires au livrable comme pour le livrable lui-même.
- Il est également le seul à se fixer des objectifs, et des objectifs qu’il juge atteignables, ce qui là encore est souvent reconnu comme un facteur de stress important dans les grandes entreprises. La souplesse en termes d’objectifs inhérente au statut d’auto-entrepreneur laisse là encore un volant de mise en œuvre de compétences plus en phase avec une prédominance de la conception métier de l’activité.
En conséquence, on pourrait ainsi estimer que le statut d’auto-entrepreneur propose un espace de valorisation et de pérennité de compétences –et notamment de compétences métier- qui semble être en rupture avec l’obsolescence forcée des compétences dans les grandes organisations.
Article rédigé par S. ANSART & R. DUYMEDJIAN (Enseignant-Chercheur à Grenoble Ecole de Management) http://ecodupeu.over-blog.fr/ |