Théâtre participatif, Internet permet à une entreprise de promouvoir ses activités ou de « googeliser » un futur salarié. Revers de la médaille, elle peut en être victime lorsqu’un tiers abuse de sa liberté d’expression. Les spectateurs de cette scène virtuelle sont décuplés, l’indélicatesse des uns dans l’usage de cette liberté fondamentale peut entrainer de graves conséquences économiques ou morales pour d’autres.
Si la critique est libre en France, l’abus de la liberté d’expression ne demeure pas impuni même perpétré sur la Toile. La personne qui abuse de celle-ci devra répondre de ses actes lorsque ceux-ci portent atteinte à la réputation d’une personne soit en la visant directement, il s’agira alors d’infraction de presse et en particulier, de la diffamation (1) ou de l’injure (2), soit en visant ses produits ou ses services, il s’agira alors d’un dénigrement (3).
On parle parfois d’atteinte à l’ « e-réputation » de l’entreprise.
Internet étant un réseau faisant appel à plusieurs acteurs, ces derniers pourront, en fonction du rôle qu’ils tiennent, voir également leur responsabilité engagée. La victime pourra alors agir en justice aux fins de demander la suppression et/ou la sanction de tels actes, à condition de respecter les délais de prescription qui peuvent être brefs. Elle pourra, en outre, exercer un droit de réponse.
Le présent article a pour but de dresser un rapide état des lieux des questions qui se posent et des réponses juridiques possibles, en l’état des dernières lois votées (4) et décisions des tribunaux.
L’atteinte à l’« e-réputation » d’une personne, quelle(s) responsabilité(s) pour quel(s) acteur(s) ?
Le « fournisseur de contenu », c'est-à-dire l’auteur d’un contenu portant atteinte à la réputation d’une personne, joue un rôle principal : il est évidemment responsable de plein droit de ce qu’il écrit.
L’ « éditeur » (directeur de publication) est celui qui prend la responsabilité de diffuser ce contenu.
Il est responsable en cas d’infractions de presse, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public (5). Il ne pourra toutefois pas être poursuivi pour diffamation ou injure lorsque le message sera directement diffusé. Par ailleurs, l’article 27 de la récente loi HADOPI du 12 juin 2009 institue un régime d’exonération de la responsabilité pénale du directeur ou du codirecteur de la publication en cas de diffamation ou d’injure résultant du contenu d'un message adressé par un internaute aux services de presse dans un espace de contributions personnelles (blog ou forum de discussion) dès lors que le directeur ou le codirecteur n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message (6). Notons que le fournisseur de contenu et l’éditeur peuvent être une seule et même personne, lorsque celui qui crée le site en fournit également le contenu (ex, blog).
A l’inverse du fournisseur de contenu et de l’éditeur, les « prestataires techniques » (le FAI (7) et l’hébergeur du site) bénéficient a priori, en raison de leur fonction neutre, d’une exonération de responsabilité tant civile que pénale concernant les contenus accessibles par leurs services ou stockés par eux.
En revanche, les hébergeurs peuvent néanmoins, a posteriori, voir leur responsabilité engagée, dès lors qu’ils avaient connaissance du caractère illicite du message et qu’ils n’ont pas agi promptement pour supprimer le contenu illicite. La preuve de cette connaissance peut être rapportée par tous moyens (8). La loi LCEN prévoit une présomption de connaissance du caractère illicite du message lorsqu’un certain nombre d’éléments ont été notifiés à l’hébergeur (voir article 6 I 5° pour le contenu des informations à notifier à l’hébergeur).
La responsabilité de chaque acteur de l’Internet et donc les moyens d’action à leur encontre dépendent de la qualification concrète, et parfois délicate, de la nature exacte de leur activité et de leur rôle.
(1) La diffamation est « l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (article 29 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse).
(2) L’injure comprend « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » (article 29 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse).
(3) Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer un profit. (P. Roubier, Le droit de la propriété industrielle : Sirey, 1952, t. 1, p. 206).
(4) Notamment LCEN, communication audiovisuelle et HADOPI
(5) Article 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982
(6) LOI n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
(7) FAI = Fournisseur d’Accès à Internet (ex, Free, SFR ou Orange)
(8) TGI Paris, 10 juillet 2009
François HERPE |