Corinne Champagner KatzArticle rédigé par Corinne Champagner-Katz et Charlotte Galichet
Tous les acteurs de la contrefaçon sont responsables devant la loi.
Le principe dominant et constant en matière de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse d’atteintes aux :
- droit d’auteur
- marques,
- dessins et modèles déposés à l’INPI
est que la bonne foi de la personne physique ou morale fabriquant, sous traitant et commercialisant des produits contrefaisants un droit de propriété intellectuelle est inopérante devant les juridictions civiles [1] (arrêt de la Cour de Cassation, 3 avril 2001, n°pourvoi 99-15767).

L’ensemble des acteurs de la contrefaçon − du fabricant (français ou étranger) au revendeur détaillant, en passant par l’importateur, le grossiste, le site marchand −  tous sont responsables devant la loi à l'égard de celui qui revendique une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
Tous peuvent être condamnés à verser des dommages et intérêts à la personne physique ou morale titulaire des droits de propriété intellectuelle.

Il n’est pas indispensable de connaître l'origine de la fabrication des produits litigieux pour initier une action en justice. Le revendeur est tout aussi responsable que le fabricant. Les textes et la jurisprudence sont clairs, l'action de commercialiser des contrefaçons rend son auteur automatiquement responsable et l'expose à payer des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
Liberté est laissée aux titulaires de droit d'obtenir des revendeurs la traçabilité des produits litigieux, c’est-à-dire l’origine de la contrefaçon et le volume total industriel des actes de contrefaçon [2].

Il est en outre tout aussi nécessaire de faire respecter ses droits par les fabricants que de défendre ses créations ou sa marque auprès des revendeurs.

Les revendeurs et autres distributeurs "s'exonèrent" souvent en arguant et prétextant qu’ils ne peuvent vérifier « tous les droits existant sur l’ensemble des produits circulant sur le marché ».

Ce type de raisonnement est très risqué. Il n’est en effet pas rare que l’auteur ou le titulaire de la marque se retourne contre le revendeur simplement du fait que son siège social est situé en France et qu’une action judiciaire sera plus aisée et moins coûteuse qu’à l’encontre d’un fabricant étranger.

Est également responsable la société qui fabrique un produit fini à la demande d’un client. Et ce, même si le client est le donneur d’ordre et que le fabricant pouvait légitimement penser que les produits commandés ne portaient pas atteinte aux droits des tiers soit parce que son client se prétendait titulaire des droits, soit parce que le produit pouvait appartenir au domaine public.

Les conséquences financières de cette règle présentent un impact direct et sans "circonstances atténuantes". Il est fréquent que les demandeurs sollicitent des tribunaux la condamnation « in solidum » de tous les acteurs de la filière de la contrefaçon. Tous sont tenus solidairement au paiement des dommages et intérêts, peu importent leur rôle et leur importance dans le circuit de distribution des contrefaçons.

Les décisions de justice peuvent ainsi être exécutées en totalité à l’encontre d’un seul maillon de la chaine, et il n’est pas rare que le revendeur français soit soumis au paiement intégral des condamnations [3].

Dans un arrêt récent de la Cour d’Appel de Versailles, intervenu en matière de droit des marques, la Cour a condamné non seulement les fournisseurs des montres et chaussures arguées de contrefaçon mais aussi la société AUCHAN qui les distribuait :

« concernant les montres litigieuses, le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice en lui allouant la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, mise à la charge in solidum de la société AUCHAN FRANCE et de la société TIME AND DIAMONDS, qui ont participé aux actes de contrefaçon et concouru à la réalisation du dommage (…) ».
(Cour d'appel de Versailles, 10 novembre 2009 N° de RG: 08/01300)

Le même raisonnement est appliqué en matière de droit d’auteur :
« Que la contrefaçon, (…) est en l’espèce, par confirmation du jugement entrepris, caractérisée tant à l’encontre de la société PETIT BOY que de la société ASIATEX qui ne démentent pas leur implication dans la commercialisation des produits incriminés la première pour les avoir proposés à la vente la seconde pour les avoir importés » (Cour d’Appel de Paris, Pole 5, Chambre 1, 24 février 2010, inédit)

Les sociétés françaises doivent impérativement, lorsqu’elles mettent un produit sur le marché, exiger de leur fournisseur la signature d’une clause de garantie (écrite et contresignée par les parties) par laquelle le fournisseur, en cas de litige sur les produits, s’engage à garantir son client de toutes condamnations financières.

Dans ce cas, les Tribunaux tiennent compte de cet accord contractuel et répartissent les dommages et intérêts en appliquant les garanties existant entre les acteurs :

« Considérant que la société AUCHAN FRANCE sollicite la garantie par la société TIME AND DIAMONDS des condamnations prononcées à son encontre ;
Que force est de constater que la société TIME AND DIAMONDS, aux termes du contrat de référencement et de son avenant qu'elle a signés le 25 mai 1998, s'est contractuellement engagée à garantir la société AUCHAN FRANCE, de sorte que cette garantie s'applique puisqu'il n'est pas démontré que cette société aurait eu connaissance du caractère contrefaisant des produits litigieux ; » (Cour d'appel de Versailles, 10 novembre 2009 précité)

Et a contrario :
« Considérant que faute de justifier d’un engagement contractuel stipulé à cet effet, la société PETIT BOY n’est pas fondée à poursuivre la société ASIATEX en garantie du paiement des condamnations prononcées à son encontre dans le cadre de la présente instance. » (Cour d’Appel de Paris, Pole 5, Chambre 1, 24 février 2010, précité)

C’est dans cet état d’esprit également qu’il convient d’être particulièrement vigilant à la lecture des Conditions Générales de Vente de ses fournisseurs ou lors de l’établissement de ses Conditions Générales d’Achat, imposées dans tous les cas notamment par la grande distribution.

 

Que faut-il penser de cette machine implacable de condamnation des contrefacteurs, qu’ils soient conscients de leurs actes ou qu’ils soient "Candide" ?

La réponse évidente est que cette règle présente une réelle et nécessaire sécurité économique pour les titulaires de droits de propriété intellectuelle.

Elle peut paraître excessive et injuste aux yeux de certains, lesquels de bonne foi ont commercialisé des contrefaçons ou utilisent une marque protégée sans la connaître, mais cette méconnaissance est-elle encore possible lorsque l’on vit dans le siècle d'internet et celui de la délocalisation de la quasi-totale production mondiale ?

Pire serait la victime de contrefaçons non indemnisée pour cause de bonne foi ?

Nous ne voulons pas imaginer les stratagèmes sophistiqués qu'utiliseraient alors les contrefacteurs patentés  pour démontrer leur bonne foi.

La mutualisation des dommages entre les acteurs auteurs d'actes de contrefaçon est un système efficace et juste dans la réparation du préjudice.

[1] Devant les juridictions pénales, le contrefacteur est présumé être de mauvaise foi mais est recevable à rapporter la preuve contraire de sa bonne foi.

En matière de brevet, l’article L. 615-1 alinéa 3 du Code de Propriété Intellectuelle dispose : « Toutefois, l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation, la détention en vue de l’utilisation ou la mise dans le commerce d’un produit « contrefaisant », lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit « contrefaisant », n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. »

[2] Grâce à la procédure de saisie contrefaçon

[3] Il arrive néanmoins, lorsque le nombre de produits contrefaisants, commercialisés par le revendeur, n’est que de quelques exemplaires, que les juridictions ne condamnent ce dernier qu’à un prorata ou à un faible pourcentage de la somme totale mise à la charge des contrefacteurs.

Corinne Champagner KatzCorinne CHAMPAGNER KATZ
Avocat au Barreau de Paris
Spécialiste en propriété intellectuelle

Charlotte GALICHET
Avocat au Barreau de Paris

CCK Avocats
www.champagnerkatz.com