Les dispositions de l’article L1131 du Code de Propriété Intellectuelle disposent que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » Il est ainsi institué une présomption de titularité des droits d'auteur au profit de la personne qui divulgue l'œuvre sous son nom.
Cette jurisprudence est également appliquée aux personnes morales qui sont présumées être titulaires des droits d'exploitation sur une œuvre dès lors que cette œuvre est commercialisée sous leur nom.
Cependant cette présomption n’exonère pas celui qui s’en prévaut d’établir la preuve de sa qualité d’auteur et de sa création, qui doivent être incontestables dans son contenu et dans sa date.
Cette preuve peut être rapportée par tous moyens, notamment par un faisceau d’indices concordants, dont la force probante est appréciée souverainement par les Tribunaux.
1. La preuve du processus de création
Pour établir leur qualité d’auteur d’un modèle, les entreprises qui engagent une action en contrefaçon sont amenées à produire aux débats divers documents internes permettant de déterminer les différentes étapes de leur création.
Les entreprises font ainsi état de documents de travail tels que des fiches techniques, des croquis, des essais de matière, des échantillons de tissus... Cependant, ces derniers ne comportent la plupart du temps aucune date certaine. (CA Paris 16 janvier 2009, RG n°07/20106 ; CA Paris 10 mars 2006, RG n°04/24270 ; CA Paris 7 avril 2004, RG n°2003/05404).
Pour pallier cette absence de date, les stylistes salariés ayant réalisé ces créations peuvent attester en faveur de leur employeur avoir créé le modèle revendiqué à une date donnée.
Si ces attestations sont remises en cause, le Tribunal apprécie strictement la force probante des attestations de salariés au regard des circonstances de l’espèce et des autres pièces versées aux débats.
Ainsi, de telles attestations ont été considérées comme étant insuffisantes à rapporter la preuve d’une date certaine de création aux motifs que ces dernières :
- contredisaient les pièces versées aux débats (CA Paris, 10 septembre 2008 RG n°07/20106),
- se limitaient à des affirmations de portée générales insusceptibles de rapporter la preuve dans le détail des étapes de la création et de la mise en fabrication du modèle (CA Paris 16 janvier 2009, RG n°07/20106).
L’appréciation effectuée par les Tribunaux de ces documents internes n’est qu’une application du principe énoncé par l’article 1315 du Code Civil, selon lequel « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».
L’ensemble de ces éléments constitue néanmoins un commencement de preuve par écrit, lesquels doivent être corroborés par des éléments objectifs, c’est-à-dire des éléments de preuve extérieurs à la société en demande dans la procédure.
Les entreprises ont intérêt à procéder au dépôt de leurs créations dès leur conception soit chez un huissier, soit via des systèmes de dépôt en ligne organisé par des sociétés privés.
De tels modes de preuve ont été jugé recevables à conférer une date certaine aux créations, objets du dépôt. (TGI PARIS, 28 septembre 2007, RG 05/00255; TGI PARIS, 2 juillet 2008, RG 06/12970)
N’ayant pas effectué de tels dépôts en temps utile, certains ont imaginé faire procéder à un constat par un huissier dans les fichiers informatiques de la société créatrice afin de rapporter la preuve de la date de création. Ce moyen de preuve a été jugé insuffisant à démontrer les différentes étapes de la création et de sa mise en fabrication. (CA Paris 16 janvier 2009, RG n°07/20106)
2. La preuve de la mise en fabrication et de la commercialisation du modèle
La preuve de la mise en fabrication et de la commercialisation du modèle revendiqué est également un élément auquel s’attachent les Tribunaux.
Cette preuve peut notamment émaner des contrats de fabrication, des bons de commande, de livraison et les factures de commercialisation.
Lorsqu’elles font appel à une société pour la fabrication de leurs produits, il est primordial que les sociétés créatrices soient vigilantes dans leurs échanges avec celle-ci et apparaissent clairement en qualité de donneur d’ordre. A défaut, la titularité de leurs droits de création pourra être remise en question.
Les Tribunaux procèdent à une analyse des contrats de fabrication, bons de commande, afin d’identifier le rôle des acteurs de la chaîne économique.
Ainsi, dans un arrêt en date du 12 mars 2008, la Cour d’appel avait pris le soin d’examiner les factures d’achat des produits, lesquelles n’étaient nullement des « factures qui auraient été émises à la suite de l’acquisition de modèles originaux créés par une société coréenne, mais de factures qui l’ont été dans le cadre de la confection et de la livraison du modèle créé par la société GINGER ».(CA Paris 12 mars 2008, RG 06/19267)
Cependant, dans un cas où la styliste, auteur du modèle revendiqué, et la société titulaire des droits patrimoniaux sur ce modèle, avaient fait appel à une société chinoise pour la fabrication du modèle revendiqué, la Cour d’Appel a considéré que les demanderesses « se devaient de produire les documents échangés avec la société de fabrication chinoise, et les messages en anglais, qui auraient justifié du suivi de ces étapes et de la nature comme de la portée des instructions données à celle-ci pour définir les caractéristiques techniques des modèles à fabriquer et les exigences à respecter ». Dans ce cas, les demanderesses avaient versés aux débats des courriels échangés avec la société chinoise qui faisait état de la fabrication des modèles revendiqués. Cependant, la Cour a considéré que « ces échanges ne reflétaient pas les instructions qu’un auteur peut donner à son façonnier ; qu’il s’agit de détails (ajouts de paillettes) de fabrication, sans qu’il soit possible d’identifier dans les échanges ce qui concerne précisément les modèles en cause ». (CA Paris 16 janvier 2009, RG n°07/20106)
Les documents relatifs à la fabrication des modèles ne doivent être emprunts d’aucune ambigüité quant à l’identité du créateur et du donneur d’ordre.
Enfin, la preuve de la divulgation et de la commercialisation d’un dessin ou d’un modèle passe par la production des bons de commande et des factures de commercialisation.
Cependant, la simple mention des références du produit revendiqué sur les factures de commercialisation est insuffisante à rapporter la preuve de la divulgation sous son nom du produit revendiqué par la personne morale.
Les Tribunaux exigent la preuve de la correspondance des références portées sur les bons de commandes et les factures avec le modèle revendiqué par la production.
Par un arrêt en date du 10 mars 2006, la Cour d’Appel de Paris a jugé que « la seule désignation d’une référence sur des factures ou documents douaniers ne fait pas la preuve de ce que le produit ainsi référencé corresponde au vêtement revendiqué ».
A défaut d’une telle identité, cette correspondance peut être établie si les fiches techniques du modèle sont jointes au bon de commande (CA 10 septembre 2008 RG n°07/20106).
Afin d’éviter tout obstacle, une continuité dans la traçabilité du référencement du produit est indispensable tout au long de la durée de vie du modèle : de sa création à sa commercialisation au consommateur.
Au stade de la commercialisation du modèle, les publications ou rédactionnels figurant dans la presse sont un moyen de preuve supplémentaire qui permet de corroborer l’ensemble des éléments précités, à condition que le produit comme la société créatrice soient clairement identifiés.
Afin de se prévaloir de la qualité d’auteur d’un modèle, les entreprises doivent faire preuve de vigilance dès le stade de la création et conserver tout document relatif au modèle. A défaut, elle pourrait se voir démunie de tout droit d’agir. Elles deviendraient de ce fait victimes d’actes de contrefaçon et/ou de concurrence déloyale sans pouvoir opposer des sanctions.
Corinne CHAMPAGNER KATZ Avocat à la Cour Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle |