Corinne Champagner KatzLa libre concurrence implique que chacun puisse commercialiser le produit qu’il souhaite.
Cependant, l’usage abusif de cette liberté par certains acteurs économiques a conduit à l’élaboration de la théorie prétorienne de la concurrence déloyale fondée sur les règles de la responsabilité civile.

Cette dernière suppose l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

Afin de lutter contre la reproduction par la concurrence d’un nom, d’un produit élaboré par leurs soins, non protégeable au titre d’un droit privatif (brevet, marque, droit d’auteur, dessin ou modèle), les industriels peuvent avoir recours à la législation sanctionnant les actes de concurrence déloyale.
Par un arrêt en date du 3 juin 2008 (Association A VOTRE SERVICE / Société AL HAYAT, pourvoi n°07-15050), le Cour de Cassation a entendu rappeler la possibilité d’agir sur ce fondement afin de voir sanctionné ce type de comportement fautif.
Dans cette espèce, l’association A VOTRE SERVICE, qui a vocation à orienter la communauté musulmane de France vers la consommation de produits agréés est titulaire des marques françaises « AVS A votre service » désignant notamment tous produits de boucherie et charcuterie.

Elle conclut avec les boucheries qu’elle agrée un contrat autorisant le boucher à vendre ses produits sous la marque AVS après contrôle. Constatant que la société AL HAYAT non agréée par l’Association diffusait un calendrier de prières revêtu des marques AVS sans son autorisation, l’Association A VOTRE SERVIXCEE a agi à son encontre en contrefaçon de marque.

La société AL HAYAT invoquait la nullité de la marque, la société AVS a alors formé une demande subsidiaire en concurrence déloyale, qui était donc fondée sur les mêmes faits que ceux invoqués au titre de l’action en contrefaçon.
Suite à l’annulation des marques revendiquées, la Cour d’Appel avait refusé de reconnaître l’existence d’actes de parasitisme au motif que « l’action en concurrence déloyale pour agissements parasitaires, si les marques n’avaient pas été annulées, n’aurait pu être fondée que sur des faits distincts de ceux de contrefaçon des marques ».

Or, l’existence de faits distincts n’est exigée que lorsqu’une action est engagée cumulativement sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale.
Elle vise à éviter qu’un même fait, la reproduction sans autorisation d’un droit privatif, soit sanctionné et réparé deux fois.
Cependant, ces actions présentent des fondements et des conditions de mise en oeuvre distincts.
La Cour de Cassation a souhaité rappeler ces différences : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d’un droit privatif, et qu’il n’importe pas que les faits incriminés soient matériellement les mêmes que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif, s’il en résulte une faute, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

En conséquence, les mêmes faits matériels peuvent être invoqués tant au soutien d’une action en contrefaçon en présence d’un droit privatif, qu’au soutien d’une action en concurrence déloyale en son absence s’il en résulte une faute.

La sanction de la reproduction du nom d’une société concurrente sans autorisation expresse ne saurait se limiter à l’exercice d’une action en contrefaçon.
Admettre le contraire reviendrait à accepter une dérive préjudiciable au principe de la libre concurrence.
La Cour de Cassation le souligne et érige la faute en élément déterminant et suffisant de la recevabilité et du bien fondé de l’action en concurrence déloyale. Bien que cet arrêt soit relatif à la reproduction d’un nom en l’absence de droit de marque, on peut souhaiter en raison de la généralité de son attendu sa transposition au cas de reproduction servile d’un produit.

Cet arrêt intervient alors même que certains Tribunaux avaient tendance à refuser systématiquement, en l’absence de droits privatifs, de reconnaître un comportement déloyal dans la reproduction même servile d’un produit.
La reproduction servile est considérée en elle-même comme fautive par la jurisprudence non du fait de la simple reproduction, mais en raison des circonstances et des conséquences de cette reproduction, soit notamment le risque de confusion créé au préjudice de l’entreprise concurrente, l’économie effectuée sur le prix de revient du produit, les investissements réalisés pour la création et la promotion de ce dernier.

Il ne s’agit pas de pallier l’absence de droits privatifs, ni de reconstituer artificiellement un monopole, mais bien de sanctionner un comportement fautif en ce qu’il dépasse les limites du « moralement et économiquement acceptable ».

Il est souhaitable dans l’intérêt bien compris d’un juste équilibre concurrentiel entre les acteurs économiques que nos juridictions s’intéressent de plus près aux fondements mêmes de l’action en concurrence déloyale et apprécient la reproduction du produit ou d’un nom d’un concurrent non en fonction seulement de l’existence d’un droit privatif, mais du caractère fautif qui a généré cette reproduction.

 

Corinne Champagner Katz

Corinne CHAMPAGNER KATZ

Avocat à la Cour

Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle

http://www.champagnerkatz.com