A l’heure où les conseils d’administration s’ouvrent aux administrateurs indépendants et membres de la société civile, les arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation les 9 et 30 mars 2010 apportent des précisions sur le régime de la responsabilité civile des dirigeants qui devraient faire réfléchir les candidats à la fonction (Cass. Com. 9 mars 2010, n° 08-21.547 et 08-21.793 ; Cass. Com. 30 mars 2010, n° 08-17.841).
1. La mise en cause de la responsabilité civile des administrateurs par les tiers suppose la preuve d’une « faute détachable »
Les administrateurs, comme le Directeur Général et les membres du Directoire, doivent notamment répondre des fautes commises dans leur gestion, leur responsabilité étant soit individuelle, soit solidaire selon que la décision fautive émane d’un administrateur isolé ou, plus fréquemment, résulte d’une délibération prise collégialement par le Conseil d’administration (art. L. 225-251 du Code de commerce).
Une jurisprudence désormais bien établie considère que les tiers ne peuvent engager la responsabilité civile des administrateurs que si ces derniers ont commis une « faute détachable de leurs fonctions », c’est-à-dire une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales (Cass. Com. 27 janvier 1998, n° 93-11.437 ; Cass. Com. 20 mai 2003, n° 99-17.092).
2. Les administrateurs sont soumis à une présomption de responsabilité à l’égard des actionnaires
En revanche, lorsque les plaignants sont actionnaires, la Cour de cassation n’exige pas la preuve d’une « faute détachable » (Cass. Com. 9 mars 2010, prec.). Les administrateurs sont responsables à l’égard de la société et des associés de tous les actes contraires à l’intérêt social, même s’il s’agit de fautes non intentionnelles (simple négligence ou imprudence), que leurs fautes soient graves ou seulement légères. Bien plus, si les administrateurs ne sont tenus que de leur fait personnel, l’arrêt du 30 mars 2010 précise que leur participation à un organe collégial les rend solidairement et collectivement responsables des décisions fautives prises par le Conseil d’administration.
Les administrateurs sont donc soumis à une véritable présomption de responsabilité dont ils ne peuvent se soustraire qu’à charge, pour chacun d’entre eux, de démontrer leur absence de faute.
3. Les causes permettant aux administrateurs de s’exonérer de leur responsabilité sont limitées
Mais autant la jurisprudence apprécie largement les conditions de mise en jeu de la responsabilité civile des membres du Conseil d’administration, autant elle se montre restrictive s’agissant des causes d’exonération. Pour renverser sa présomption de responsabilité, chaque administrateur doit « démontrer qu’il s’est comporté en administrateur prudent et diligent, notamment en s’opposant à (la) décision » critiquée (Cass. Com. 30 mars 2010, prec.).
Encore faut-il que cette désapprobation soit claire.
Comment peut-elle s’exprimer ?
● La simple abstention ou même le fait de voter contre est considéré comme insuffisant par la plupart des auteurs.
● Le plus souvent, l’administrateur fera consigner son opposition dans le procès-verbal de délibération ou établira qu’il n’a pu assister, pour un motif légitime, au Conseil d’administration au cours duquel la décision critiquée a été adoptée.
● La démission s’impose dans les cas les plus graves, à condition que le départ soit motivé et n’intervienne pas tardivement.
4. Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité est reporté en cas de dissimulation
La Cour de cassation se montre également rigoureuse quant à l’appréciation du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité. Celle-ci se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation (art. L. 225-254 du Code de commerce). Dans l’arrêt du 30 mars 2010, la Chambre commerciale approuve ainsi les juges du fond d’avoir retenu l’existence d’une volonté de dissimulation collective de l’ensemble des membres du Conseil d’administration du seul fait qu’aucun d’eux ne s’était personnellement opposé à la décision fautive.
L’actionnaire victime n’a donc pas à faire la preuve, au demeurant difficile à établir, de manoeuvres actives de dissimulation de la part de chacun des administrateurs mis en cause. En définitive, la jurisprudence récente se montre sévère à l’égard des administrateurs dont la responsabilité civile peut être lourdement engagée par des actionnaires abusés (cf. affaire Vivendi). Les dirigeants doivent donc être particulièrement vigilants, notamment sur le contenu de l’information financière diffusée. Quant aux nouveaux administrateurs, ils doivent être conscients que leur fonction n’est pas exempte de risques.
Nathalie Malkes Koster
Avocat au Barreau de Paris
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