On regrette souvent l’absence ou l’indigence de la jurisprudence pouvant éclairer l’application d’un texte donné.
Ce n’est certes pas le cas de la rupture entre fournisseurs et distributeurs, puisqu’on observe plutôt un foisonnement. Mais de ce foisonnement ne résulte pas forcément plus de clarté ou de stabilité juridique. Cela oblige à faire régulièrement le point.
Plusieurs aspects du problème méritent précisions ou confirmations :
+ le statut de distributeur rapporté à celui de commissionnaire ou de mandataire ;
+ la notion de relations commerciales établies telle qu’utilisée dans la répression de la rupture brutale (article L 442-6 du code de commerce);
+ les conditions de la résiliation pour faute du distributeur et la mise en oeuvre de clauses résolutoires ;
+ la possibilité de rompre pour non respect des objectifs quantitatifs ;
+ la rupture pour cause de réorganisation des réseaux;
+ le droit à indemnité de rupture.
Le statut de distributeur rapporté à celui de commissionnaire ou de mandataire.
Les contentieux de rupture amènent souvent les protagonistes à rechercher la requalification de leur contrat, en raison des avantages qu’ils peuvent y trouver. En effet, les strictes conditions mises à l’exemption des accords verticaux, notamment l’interdiction d’imposer des prix ou des marges minimaux de revente, peuvent pousser un agent ou un commissionnaire à rechercher sa requalification en distributeur indépendant, afin de pouvoir faire constater la nullité du contrat ou l’inopposabilité de certaines de ses clauses.
Inversement, un distributeur apparemment indépendant peut chercher à bénéficier des protections que le droit national ou le droit communautaire donnent au commissionnaire ou à l’agent commercial (respectivement : la propriété du fonds de commerce et/ ou de la clientèle et le droit à indemnité de rupture en principe égale à deux années de marges brutes).
Or les contentieux de requalification et les décisions qu’ils provoquent ne sont pas exempts d’ambiguïtés. Ainsi, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris (5è Ch. B- 9 avril 2009 – Chattawak), devait décider si un opérateur présenté dans son contrat comme « commissionnaire – affilié » et « commerçant indépendant propriétaire de son fonds de commerce », et dont le contrat avait été requalifié en contrat d’agence par la cour de cassation, parce que le fabricant était omniprésent dans l’organisation des ventes, la fixation des prix, la gestion du magasin, était ou non propriétaire de son fonds de commerce. L’intérêt de la question était que si la propriété du fonds lui était reconnue, le requalification en agent commercial serait impossible.
Après avoir relevé que la plupart des éléments du fonds (enseigne, matériel de vente, stocks) étaient propriété du fournisseur ou étaient contrôlés par lui, la cour dénie au revendeur la propriété de la clientèle, en affirmant qu’à supposer que l’exploitant du point de vente ait pu fidéliser une clientèle, celle-ci était détachable de la marque dès lors que le fournisseur avait pu ouvrir non loin de là un autre magasin. La notion de relations commerciales établies dans le cadre des contentieux de la rupture brutale. Toute rupture de relations commerciales établies donne droit à l’autre partie, sauf faute de sa part, à un préavis de rupture. A défaut, le juge peut condamner l’auteur de la rupture brutale à indemniser la victime à hauteur de la marge brute qui aurait été réalisée pendant la durée du préavis « normal ». Il faut pour cela qu’ait été constatée l ’ existence de « relations commerciales établies ».
De telles relations peuvent-elles se former en dehors de tout contrat cadre et sous l’effet de commandes ponctuelles et irrégulières, dans leur fréquence ou dans leur montant. Un arrêt de la cour de cassation du 16 décembre 2008 semblait marquer un durcissement de, l’exigence : en l’espèce, les relations n’étaient pas telles, selon la haute cour, quand elles résultent de contrats indépendants, que les parties n’ont pas passé de contrats cadre et qu’aucun chiffre d’affaires n’a été garanti. Un arrêt de la même cour du 15 septembre 2009 renverse cette impression et renoue avec une acceptation assez large de la notion, même si plus restrictive que la notion très extensive qui avait prévalu jusqu’en 2008.
Le courant d’affaires qui caractérise des relations commerciales établies peut résulter de commandes ponctuelles , effectuées par exemple à raison d’une par an, si le marché en cause est lui-même saisonnier, dès lors que les commandes se sont renouvelées tous les ans pendant quinze ans.* Retenons simplement que les relations établies peuvent résulter, à l’appréciation du juge, et en l’absence de contrat cadre, soit de la régularité, soit de la fréquence des commandes, l’une pouvant exister sans l’autre. Les conditions de la résiliation pour faute du distributeur et la mise en oeuvre de clauses résolutoires ; la possibilité de rompre pour non respect des objectifs quantitatifs.
La plupart des contrats de distribution comportent une clause résolutoire qui permet à l’une des parties de mettre fin sans délai au contrat en cas de violation des engagements contractuels par l’autre partie. En général, ces clauses ne font pas dans la nuance : toute violation du contrat peut entraîner la résiliation. Or c’est bien par exception au pouvoir du juge seul que la possibilité est donnée à une partie au contrat d’y mettre fin unilatéralement sans que la partie délaissée bénéficie d’aucune des protections prévues en cas de rupture « ordinaire ».
Aussi ce pouvoir ne peut s’exercer sans limite. Il est dans l’office du juge de vérifier que la clause n’a pas été appliquée de mauvaise foi, de manière disproportionnée ou arbitraire. Le juge, s’il est saisi, examine la faute invoquée et reconstitue les torts à l’origine de la rupture. Ainsi, même autorisé à travailler pour un concurrent par son mandant, un agent commercial qui laisse à cette occasion s’effondrer les ventes de ce dernier pour développer l’activité du concurrent commet un délaissement de sa mission qui constitue une faute grave (TC Paris du 10 janvier 2006 - Orange Caraïbe c/No Games).
De même, des distributeurs d’abonnements de téléphonie mobile qui ont activé frauduleusement des lignes prépayées à partir d’identités détournées ou falsifiées commettent la faute grave justifiant le recours à la clause résolutoire (TC de Paris, du 2/09/2009 - Orange France c/ Stés Warris et Mimcom).
La question se pose de savoir si le non accomplissement par le distributeur indépendant d’objectifs de ventes peut être invoqué comme motif de résiliation extraordinaire. La réponse est positive, mais les conditions d’application sont strictes : les modalités de la résiliation doivent être précisément prévues par le contrat et la clause de résiliation doit se référer directement ou indirectement au défaut d’atteinte des objectifs de vente; les objectifs doivent avoir été négociés et établis d’un commun accord ; ils ne doivent pas, même acceptés par le partenaire, présenter de caractère exces s i f ou comporter un déséqui li b re signi ficatif des obligations qui pourrait être mis en évidence en référence avec un traitement discriminatoire ; le fournisseur doit s’être abstenu de toute action susceptible d’empêcher le distributeur d’atteindre ses objectifs (retards, défauts ou insuffisances de livraisons).
La rupture des relations commerciales en cas de réorganisation du réseau de distribution.
On sait que la rupture de relations avec un distributeur est licite si elle s’effectue dans le cadre d’une réorganisation du réseau, par application de critères présentant un caractère général et mis en œuvre de manière objective et non discriminatoire. La cour de cassation avait affirmé dès 1992, et a confirmé par un arrêt du 2 décembre 2008 le « droit de tout fournisseur de modifier l’organisation de son réseau de distribution sans que ces clients bénéficient d’un droit acquis au maintien de leur situation ».
Un arrêt de la Cour d’appel de Colmar (25 août 2009 Norauto c/ HJC Europe) vient d’apporter une précision bienvenue : un fournisseur avait annoncé à ses distributeurs l’instauration d’un système de distribution sélective, avec agrément des distributeurs selon des critères qualitatifs. Il demandait à ses clients anciens de faire agréer leurs points de vente selon les nouveaux critères de sélection.
Un de ses anciens clients, sans demander l’agrément d’aucun de ses points de vente, dénonçait comme constituant une rupture abusive des relations commerciales l’interruption des livraisons de la part de ce fournisseur. La Cour d’appel indique que le seul fait « de recourir à un tel réseau n’entraînait pas la rupture immédiate des relations commerciales entre les parties, mais imposait seulement à l’appelante des conditions plus contraignantes ».
« Au surplus, poursuit la cour, et dès lors que les conditions générales de vente précisaient que en cas de refus d’agrément, HJC Europe exposerait les motifs de son refus, il eût appartenu à l’appelante et à ses différents magasins … de présenter une demande d’agrément et de contester le cas échéant les refus qui lui auraient été opposés de manière abusive.. ».
Le demandeur est donc débouté.
La prétention à indemnité de rupture donne également matière à d’abondants contentieux.
Ce qui ressort d’abord de la jurisprudence, c’est que le « distributeur » qui opère seulement en tant que courtier (par exemple par mise en relation d’un abonné de services téléphoniques et de l’opérateur) et qui n’a reçu aucun mandat de négociation pour la vente et ne représente pas le fournisseur lors de la souscription, ne peut exciper d’un mandant d’intérêt commun (TC Paris, 2/09/09 Orange/c Warris et Mimcom). Il en va de même du concessionnaire (cass. Com. 12 mai 2004). Il ne peuvent donc prétendre à indemnité. La question se pose de savoir si, compte tenu du principe de la liberté de contracter ou de ne pas contracter, un chef de préjudice peut naître d’une cause autre que la brutalité de la rupture.
Par un arrêt du 23 janvier 2007, plusieurs fois confirmé depuis, la cour de cassation est venue rappeler que les demandes d’indemnisations sur la base de l’article L 442-6 du code de commerce doivent être rejetées s’il n’est pas établi qu’elles auraient été « la conséquence directe de la brutalité de la rupture des relations contractuelles ». Toutefois, il est parfois délicat de faire la part des choses entre le préjudice consécutif à la soudaineté de la rupture et celui consécutif à la rupture elle-même. L’abus du droit de rompre reste soumis à l’appréciation du juge, sur 10 le fondement de l’article 1382 du code civil. L’indemnité de rupture peut donc être acquise si la rupture entraîne des préjudices significatifs (pertes d’investissements spécifiques, pertes de stocks, atteinte à l’image, désorganisation de l’entreprise) qui auraient pu être évités dans le cadre d’une exécution de bonne foi du contrat et d’un comportement loyal dans la phase précédant le rupture. La prétention à indemnité de clientèle renvoie également à la question de la propriété du fonds de commerce, question délicate lorsque l’activité du distributeur s’opère autour de la promotion d’une marque ou d’une enseigne concédée (distribution de marque ou franchise).
La jurisprudence semble osciller entre deux positions, qui conduisent toutes deux à exclure le droit à indemnité de rupture pour perte de clientèle : l’agent de la marque ne peut prétendre à aucune propriété de la clientèle, qui a certes été constituée avec ses efforts, mais est attachée à la marque elle-même ; il n’est donc pas fondé à réclamer une indemnité pour perte de clientèle. En revanche le distributeur détient son fonds, sa clientèle est attachée à l’existence même du point de vente, le retrait d’une marque ne l’empêche de IMAGINATION 11 poursuivre son activité sous sa propre marque commerciale ou sous une autre enseigne. Etant propriétaire de sa clientèle, laquelle est attachée au fonds, il ne peut prétendre, en cas de retrait de la marque ou de l’enseigne, être indemnisé d’une perte de clientèle qu’il n’a pas subie.
En revanche, le franchisé peut bénéficier de la propriété commerciale, la clientèle locale n’existant que par le fait des moyens mis en oeuvre à ses risques et périls, par le franchisé (c. cass. 27 mars 2002). Cela ne fonde toutefois que son droit à indemnité d’éviction par le bailleur, mais non un droit à indemnité de rupture de la part du franchiseur, sauf faute de ce dernier.
Une rupture décidée de bonne foi par le franchiseur, dans le cadre d’une réorganisation de son réseau, et assortie d’un préavis suffisant, ou causée par une faute grave du franchisé ne fait naître aucun droit à indemnité dans le chef du franchisé. Les fabricants, fournisseurs et concédants de licences d’enseigne doivent donc faire usage avec prudence de leur droit, non contesté dans son principe, d’organiser leur réseau de distribution et de choisir les partenaires les plus à même d’assurer la promotion de leurs produits ou de leur marque. Cette prudence appelle, en cas de rupture, la prise en compte du délai nécessaire au partenaire pour rétablir une activité équivalente, ainsi que de l’état de dépendance éventuel de ce dernier et plus généralement une évocation circonstanciée des difficultés qu’il est susceptible de rencontrer pour assurer la pérennité de son exploitation et de son fonds de commerce, s’il en détient effectivement un.
Mais, inversement, la faute de ce dernier dans l’accomplissement de sa mission contractuelle, la mauvaise volonté à envisager les éventuelles propositions alternatives du fournisseur ou du concédant peuvent compromettre ses chances d’obtenir l’indemnisation des conséquences dommageables de la rupture.
DS Avocats Créé à Paris en 1972, DS réunit aujourd’hui près de 200 avocats d’affaires exerçant au sein d’un réseau de 14 bureaux. |