Stéphane SEIRACQDans les années 70, on comptait 3 à 4 millions de journées de grève chaque année dans le secteur privé.  Aujourd'hui, ce nombre serait dix fois moins élevé. Faut-il s’en réjouir, ou est-ce sous cette forme que les conflits ont diminué, pour mieux s’exprimer sous une autre ?

Perte du collectif au bénéfice de l’individuel,  isolement des personnes, entretien annuel et objectifs, tels sont quelques uns des phénomènes des 20 dernières années qui conduisent vers un changement radical de l’apparition des conflits en entreprise.

Conflits entre salariés, entre manager et collaborateur, entre une institution et un usager, entre un fournisseur et son donneur d’ordre ou son client,…  Le nombre de conflits individuels en entreprises ne cesse de progresser. Les sanctions disciplinaires ainsi que le nombre de recours prud’homaux1,  sont deux des nombreux indicateurs à la hausse qui confirme cette tendance.

Les entreprises, leurs salariés, les clients, seraient-ils en train de produire une mutation qui engendrerait une modification profonde de la relation à autrui, de sorte que la seule issue envisagée  à un simple désaccord serait de faire appel à un juge pour départager les parties ?

Il est évident que si les conflits changent dans leur forme d’apparition, ils ne sont pas pour autant différents dans leurs causes,  leur constitution, leur progression et leur résolution.

Au départ Jean, cadre d’une entreprise privée, ne demandait  pas grand-chose. Il voulait simplement travailler dans une ambiance qui lui permettait d’échanger avec ses collègues, de créer de la valeur ajoutée pour son entreprise, de se sentir utile, et de pouvoir profiter de temps de repos pour vivre en même temps que travailler. Il était reconnu comme étant un bon professionnel.

Mais depuis 8 ans, Jean a vécu plusieurs rachats, des réorganisations, des changements incessants de supérieurs hiérarchiques, qui ajoutaient toujours plus de contrôle et de charge de travail. Il a vu se dégrader les relations entre ses collègues, les liens se distendre avec la direction, et il ne sait plus aujourd’hui trouver le sens de ce qu’on lui demande de faire tous les jours.

Et puis il y a eu ce collègue qui est arrivé en jetant le trouble sur son efficacité, en dénigrant son travail en réunion, en rejetant les erreurs sur lui et son équipe… et le conflit a pris racine et s’est développé. Pas grand-chose au début, de simples désaccords, qui se sont transformés en tensions, puis en blocage et enfin en une impossibilité de gérer cette relation.

Aujourd’hui, aucune des parties ne sait plus comment faire pour résoudre ce conflit. Ni Jean, ni le collègue, ni l’entreprise ne savent faire face à cette situation qui a un coup humain et financier colossal.

Quelles sont les alternatives possibles à la résolution des conflits

La forme de résolution majoritairement utilisée aujourd’hui est celle de l’adversité. On s’en remet à un tiers qui va regarder le droit, puis l’aspect technique, et qui va trancher en imposant aux parties, « sa » solution, mais aussi les « réparations » face au préjudice estimé par ce tiers, faisant très souvent référence à un montant sonnant et trébuchant. Cette forme de résolution peut prendre la forme d’une négociation, ou d’un arbitrage, qui aboutit parfois à l’apaisement, mais souvent après des procédures longues et coûteuses.

Il existe pourtant une autre forme de résolution, moins coûteuse en temps, en argent, moins coûteuse aussi en charge émotionnelle, et plus stable dans le temps : La médiation professionnelle2

 

La médiation : quelle place dans la résolution des conflits en entreprise ?

Lorsque l’entreprise décide de mettre un terme à la relation conflictuelle, quels que soient les protagonistes, elle s’attache à minimiser les incidences sur l’organisation et sur les personnes. Et pourtant, malgré cette intention positive, la résolution passant par l’opposition de points de vue, les tensions augmentent au lieu de se réduire. La médiation quand à elle n’oppose pas, mais elle fait collaborer et co-construire.

Parce que le conflit est d’abord interne avant d’être projeté vers autrui, le médiateur s’attache à faire réfléchir les personnes sur ce qu’elles produisent comme comportements qui favorisent des postures d’adversité. Il engage les parties vers la responsabilisation, l’autonomie et le libre arbitre. Contrairement à l’intervention d’un tiers qui  imposerait « sa » solution, le médiateur professionnel va accompagner les parties en respectant trois principes, que sont la neutralité, l’impartialité et l’indépendance, afin que les parties fassent émerger leurs propres solutions.

Lorsque l’on intervient en médiation il faut garder en tête que les personnes tournent en rond, elles ne savent plus comment sortir de cette situation. Parce que les personnes sont engluées dans les interprétations et les jugements, la première chose que nous faisons, c’est la prise en charge émotionnelle. De sorte que la personne puisse à nouveau penser et réfléchir aux issues possibles. Ensuite seulement nous pouvons commencer à regarder les données techniques de la situation. C’est exactement l’inverse de ce que fait un juge ou un arbitre.

La médiation permet généralement de résoudre une situation en quelques semaines, contre plusieurs années pour le système judiciaire.

Jean-Louis LASCOUX Directeur de l’EPMN3 et président de la CPMNnous explique l’exigence particulière autour de la formation des médiateurs.

« Les années 1970 ont connu en France la mise en place de la formation continue. Les années 1980 ont vu l’essor des formations sur l’apprentissage managérial, la communication. Un grand changement a été vite opéré sur les rapports à l’autorité. Avec la démocratisation de l’instruction, les cadres et dirigeants ont pu constater qu’on ne pouvait plus commander les Hommes comme jadis. La prise de décision a connu une modification fondamentale.

La médiation professionnelle vient de cette évolution sur la conception de la qualité relationnelle au sein des organisations. Chaque personne est considérée, de plus en plus, comme capable de décider par elle-même pour les projets dans lesquels elle est impliquée, d’où l’apprentissage de la délégation.

Dans cette perspective, les possibilités de négociation ont outillé les partenaires sociaux. Il restait à innover dans les relations interpersonnelles. C’est ainsi qu’en fin des années 1990, la médiation professionnelle est venue apporter une approche globale pour améliorer le fonctionnement des entreprises. Ses applications sont étendues. Elle participe d’une instrumentation associée aux préoccupations éthiques et de développement durable.

Le Certificat d’Aptitude à la Profession de Médiateur – CAP’M a été mis en place pour sanctionner les formations exclusives de médiateurs, sous l’égide de la CPMN, avec la garantie du Code d’éthique et de Déontologie des Médiateurs professionnels - CODEOME. Dix ans plus tard, en 2011, avec l’IAE de Bordeaux, l’Ecole Professionnelle de la Médiation et de la Négociation met en place un Master 2 en Management des Ressources Humaines. Ce diplôme unique sanctionne une formation universitaire avec une spécialisation en médiation professionnelle.

Le parcours de la médiation professionnelle, discipline à part entière, est amorcé. Elle consacre l’enseignement de la qualité relationnelle avec un processus structuré visant la résolution des différends civils et commerciaux. »

 

1 les nouvelles formes de conflictualités, rencontre Lisbonne 2009 institut de l’entreprise

2 La médiation professionnelle est une discipline d'accompagnement des personnes et des groupes. Elle a différentes applications en matière d'aide à la réflexion et à la prise de décision, notamment dans les situations de changement ou d'adaptation. Exclusivement développée par l’EPMN et pratiquée par les médiateurs adhérents à la CPMN, la médiation professionnelle promeut la qualité relationnelle et propose un processus structuré visant la résolution des conflits.

3 EPMN : Ecole Professionnelle de la Médiation et de la Négociation, Médiateurs Associés www.epmn.fr

4 CPMN : Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation, elle  regroupe des personnes exerçant professionnellement, en tant que salariés ou professions libérales, les activités de médiateurs, soit en profession unique, soit au sein de leurs activités.

Wikimédiation

 

Stéphane SEIRACQStéphane SEIRACQ
Expert en risques psychosociaux
Coach et Médiateur

www.emergenc.fr