L’octroi de primes dont le montant serait décidé discrétionnairement par l’employeur peut aujourd’hui être remis en cause devant la juridiction prud’homale, sur le fondement du principe de non-discrimination.
Octroi d'une prime par l'employeur et principe de non discrimination
L’octroi de primes dont le montant serait décidé discrétionnairement par l’employeur peut aujourd’hui être remis en cause devant la juridiction prud’homale, sur le fondement du principe de non-discrimination. Se pose donc la question de savoir si l’employeur dispose encore d’une marge de manœuvre en la matière, au regard du risque de condamnation pour violation du principe de non-discrimination.
Qu’est ce que la discrimination ?
C’est la différence de traitement illégitime, fondée sur un motif inhérent à la personne, et non sur des motifs objectifs. Ainsi, toute mesure concernant un salarié, telle que l’octroi d’une prime, doit être prise en fonction de critères professionnels objectifs (compétence, ancienneté, pénibilité du travail, etc.) et non en fonction de critères d'ordre personnel tels que notamment l'origine, le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle, l'âge, la situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le nom de famille, l'état de santé ou le handicap.
Ce principe est rappelé par l'article L.1132-1 du Code du travail, qui recense les motifs discriminatoires et fait référence aux définitions arrêtées par la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations qui prohibe, d'une manière générale, toute discrimination directe ou indirecte.
A noter que le Code du travail prévoit cependant des exceptions permanentes ou temporaires instituées afin de corriger, pour certaines catégories de salariés, des situations de fait défavorables. Dans ce cas, il est alors question de « discrimination positive » (sexe des salariés, protection de la maternité et de l'éducation des enfants, état de santé, âge).
Sur qui pèse la charge de la preuve ?
Qui s'estime discriminé doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte à l'appui de sa demande, c'est-à-dire des éléments matériels démontrant qu'il existe une disparité de traitement. Ce qui signifie que le salarié n’a pas à établir l’existence de la discrimination, ni même à prouver une intention discriminatoire de la part de son employeur.
Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, à charge pour le juge, en dernier lieu, de prendre en considération ces éléments d'appréciation pour former sa conviction après avoir éventuellement ordonné toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Quels sont les éléments déterminants pour caractériser la violation ou le respect du principe de non-discrimination ?
A l’examen de la jurisprudence, les éléments susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, c'est-à-dire permettant de considérer qu'à niveau de qualification et de compétence égales, certains salariés effectuant le même travail perçoivent une prime d’un montant supérieur à celle octroyée au salarié victime de discrimination, sont notamment les fiches de paie, les notes de service prévoyant les modalités d'attribution de la prime, un rapport écrit sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise que l'employeur doit soumettre au comité d'entreprise, des témoignages de salariés, des procès-verbaux d'inspecteurs du travail, etc., étant précisé que tous les éléments de preuve sont admis et qu’un document comparant la situation du salarié victime de discrimination avec d’autres salariés n’est pas nécessaire pour démontrer l’existence d’une discrimination.
S’agissant de la preuve devant être rapportée par l’employeur, portant sur les éléments objectifs justifiant la différence de rémunération, c'est-à-dire des motifs d'ordre strictement professionnel, il s’avère au regard de la jurisprudence, qu’il n’est pas aisé de distinguer les éléments qui seront jugés objectifs de ceux qui seront jugés subjectifs. Ainsi, la possession de diplômes, l’expérience professionnelle ou le critère de l'assiduité au travail n’ont pas été jugés comme suffisamment objectifs. En revanche, il a été jugé que l'employeur rapporte la preuve d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination, justifiant une inégalité de traitement, en démontrant la différence de qualité de travail ou des insuffisances d'ordre technique.
De même, selon les cas d’espèce, le niveau de formation, les qualités professionnelles du salarié, le coefficient, la classification, la qualification du salarié, l’ancienneté (sauf si elle donne déjà lieu à l’attribution d’une prime spéciale), les connaissances professionnelles, les responsabilités et fonctions exercées pourront constituer des éléments objectifs sous réserve qu’ils aient été préalablement définis et vérifiés par un système d’évaluation des salariés.
Eu égard à ce qui précède, ce sont donc les éléments de fait de chaque espèce qui seront déterminants, à charge pour l’employeur d’invoquer des éléments, qui auront été préalablement mesurés avec des indicateurs fiables, comme par exemple des entretiens annuels d’évaluation, y compris lorsqu’ils ne sont pas imposés par des dispositions légales ou stipulations conventionnelles.
Quelles sont les sanctions ?
En application de l’article L.1132-4 du Code du travail, toute disposition ou tout acte discriminatoire à l'égard d'un salarié est nul. Outre un rappel de salaire correspondant à la rémunération perçue par le ou les salariés auxquels il se compare, le cas échéant, le salarié pourra prétendre à la réparation du préjudice subi par sa situation, préjudice distinct de la perte de revenu.
De surcroît, un salarié s'estimant victime d'une discrimination peut agir au pénal contre l'entreprise, sur le fondement de l'article 225-2 du Code pénal.
Enfin, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) qui est une autorité administrative indépendante chargée de connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou un engagement international auquel la France est partie, peut être saisie par le salarié de la difficulté qu’il rencontre.
A noter que le principe de non-discrimination entretient avec le principe « à travail égal, salaire égal » des relations étroites sans pour autant se confondre.
La règle précitée est une règle positive d’égalité de traitement quand celle de non-discrimination salariale est une règle d’interdiction, qui impose à l’employeur d’écarter de son système de rémunération tout élément pouvant entraîner une différence fondée sur un motif illicite ; une discrimination illicite portant cependant des effets beaucoup plus graves qu’une inégalité de traitement.
En conclusion
Si l’employeur peut accorder une prime à certains salariés, c’est à condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans la même situation puissent en bénéficier et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables et ne soient pas fondées sur l’un des motifs discriminatoires visés par l’article L.1132-1 du Code du travail.
L'employeur demeure donc seul juge de la gestion de son entreprise, en octroyant des primes à une partie de son personnel, à condition d’être en mesure de justifier des différences de rémunération, le principe de non-discrimination constituant une limite au pouvoir discrétionnaire de l’employeur.
Cornet Vincent Ségurel (Nantes-Paris-Rennes)
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Maela OFFREDO
Avocat