Peut-on croire aux technologies numériques vertes ? Face aux préoccupations environnementales actuelles, les technologies de l'information et de la communication véhiculent une image de technologie propre. Argument avancé : la dématérialisation, parce qu'elle permettrait de diminuer la consommation de papier et de réduire les déplacements, aurait un impact environnemental positif.
Nous avons tenté d'y voir plus clair, en réalisant une étude qui questionne les enjeux écologiques des technologies numériques de l'information et de la communication.
Premier bilan : les TIC vertes ne le sont pas tant que ça. Elles consomment de plus en plus d'énergie (2 % de la consommation mondiale) et produisent des déchets difficiles à traiter. Leur déploiement provoque en effet une flambée des cours de terres rares, un groupe de métaux indispensables pour fabriquer écrans plats, LED, téléphones... En l'absence de filière structurée, ces métaux deviennent des déchets toxiques mélangés au tout venant, avant d'être incinérés et d'être propagé dans l'environnement.
Mais le tableau n'est pas entièrement noir. Il y a aussi de vrais mesures en faveur de l'environnement. Google, par exemple, a équipé son siège social à Montain View de panneaux solaires, et compte produire 50 mégawatts d'énergie renouvelable d'ici 2012. Son système de refroidissement par évaporation permettrait également de diviser par 5 sa consommation d'énergie. Encore faut-il séparer le bon grain de l'ivraie. Car les annonces ne sont pas toutes aussi « green » qu'elles en ont l'air.
Prenons les terminaux mobiles. Le besoin d'autonomie des smartphones, grâce auxquels nous pouvons désormais lire nos mails, regarder des vidéos où consulter notre agenda, a poussé les constructeurs à réduire la consommation des batteries. Une bonne chose en soi. Mais ce progrès doit être relativisé. En effet, pour parvenir à un tel résultat, les calculs sont désormais réalisés en partie sur les serveurs. La consommation d'énergie s'est donc seulement déportée.
Pour mieux comprendre cet écart entre discours et réalité, la deuxième partie de notre étude, plus empirique, analyse les représentations des technologies numériques vertes par les acteurs socioéconomiques : producteurs, distributeurs, pouvoirs publics, mouvement associatif et consommateurs. Ces investigations ont permis d'établir une définition des technologies vertes. Pour la plupart des acteurs, il s'agit tout simplement d'une technologie moins polluante que les autres. Cette définition relative n'a pas de sens par rapport à des critères biophysiques absolus.
En effet, l'amélioration d'un produit ne conduit pas forcément à une amélioration pour la planète. Ainsi, même si les téléphones consomment moins, ils se multiplient, leur taille augmente... donc leur impact augmente aussi. Résultat, on assiste à une situation schizophrène, où l'on vante les nouvelles performances des appareils pour pousser à acheter tout en critiquant la société de consommation.
Cette injonction paradoxale s'explique notamment par l'absence d'un cadre commun de discussion. Le débat reste confiné aux problèmes techniques, les discours restent sectoriels, centrés sur les modes de productions propres.
Il faut s'interroger sur ce qu'est la modernité, le développement durable, car tous les secteurs sont interdépendants. Réduire l'émission des gaz à effet de serre tout en favorisant la croissance est un équilibre difficile à résoudre, d'où l'importance d'une approche globale. Le souci de « produire vert » ne peut être guidé par la seule loi des rendements croissants, qui caractérise la modernité. De plus, les techniques alternatives dont la « vertitude » est prouvable à grande échelle sont plus onéreuses dans la plupart des secteurs, agricole, transport etc. ce qui pose des questions radicalement nouvelles en termes d'organisation sociale, différentes de celles auxquelles libéralisme et socialisme nous avaient habitués.
Beaucoup ont fait l'erreur de vouloir ramener la question écologique à un cadre ou l'autre.
Fabrice Flipo
Enseignant-chercheur à Télécom Ecole de Management, il a coordonné une étude sur l'impact environnemental des technologies numériques