Nicolas Aube

 

Peut-on créer une entreprise sans argent ? Certainement pas ! Il ne faut pas sous-estimer les besoins financiers d'une jeune entreprise, et ne pas attendre l'urgence pour trouver des fonds. Est-ce à dire que la création d'entreprise est réservée aux riches ? Non, heureusement : capital, prêts d'honneur, prêts bancaires, Oseo, capital-risque … des dispositifs financiers permettent au jeune dirigeant d'accompagner sa croissance. Comment les utiliser ? Quels sont les pièges à éviter ?

 

 

 

Ne pas sous-estimer les besoins au départ

 

Le créateur d'entreprise est souvent optimiste et évalue au strict minimum ses besoins financiers, souvent réduits ses besoins d'investissement initiaux. Dans le cas des entreprises de service en particulier, ceux-ci sont limités. Or il faut avoir en tête que la mise de départ est la principale source de financement dont pourra disposer l'entreprise jusqu'à atteindre son seuil de rentabilité.

Il est courant et presque normal que l'entreprise fasse des pertes durant ses premières années d’activité. Les pertes vont diminuer les « fonds propres » de l'entreprise (le capital plus l'agrégation des résultats chaque année). Le capital de départ doit tenir compte de ces pertes, elles ne seront pas financées par les banques.

Par ailleurs, il faut absolument prendre en compte le besoin en fonds de roulement. C'est le financement des stocks et de l'argent dû par les clients (2 mois de chiffre d'affaires  en théorie, jusqu'à 6 si le client est l'Etat). De la même manière, il est assez difficile de faire financer ce besoin en fonds de roulement ; certains dispositifs existent, comme l'affacturage, mais ils sont dangereux car la banque peut les suspendre à tout moment. Il est donc nécessaire prévoir ces besoins dès le lancement de l’entreprise.

Enfin, dans l'estimation des besoins de financement, il vaut mieux prévoir un budget initial pour la communication et la publicité ; une dépense qui ne sera pas comptabilisée comme un investissement - même si c'en est un. A cela, il faut aussi rajouter une marge de sécurité pour qu'un aléa de la vie de l'entreprise comme un vol, un impayé ou un litige ne la déstabilise pas.

Le Capital, arme de communication

 

Une fois que le créateur a estimé ces besoins ; comment les financer ?
Tout d'abord, il doit mettre de l'argent de son patrimoine personnel dans son entreprise ; c'est le capital. Une fois investi, cet argent ne sera jamais récupéré. Soit l'entreprise sera rentable, alors le créateur pourra toucher des dividendes ; soit elle disparaîtra, et le créateur perdra ce qu'il a misé. C'est la règle du jeu, et il faut que le créateur l'assume.

Le capital est une arme de communication financière. Il indique : « voici ce que je suis prêt à miser pour cette entreprise ». Les banques ne prêteront pas plus que ce montant au début de la vie de l'entreprise. Par ailleurs, le montant du capital initial apparaîtra sur tous les documents officiels de la société ; signifiant « voici ce que cette société pèse » vis-à-vis des interlocuteurs externes, client, fournisseurs, salariés, partenaires.

Il y a une très bonne nouvelle à ce stade : l'Etat subventionne le créateur d'entreprise à 25% ; en effet, ¼ de ce que le créateur (ou des proches) investissent au capital des PME est déduit du montant de leur impôt sur le revenu. Il est possible de verser cet argent sur plusieurs années afin de bénéficier au maximum de ce dispositif très intéressant.

Si les biens propres du créateur ne sont pas suffisants pour réunir le montant du capital nécessaire, le créateur peut emprunter de l'argent à une banque, à titre personnel, mais les banquiers exigeront une garantie. En revanche, il existe des prêts sans garantie, appelés « prêts d'honneur », qui sont octroyés aux créateurs d'entreprise par des associations, comme les plateformes d'initiative locales ou le réseau Entreprendre. Ces réseaux soutiennent les projets qui leur semblent porteurs d'avenir, en évaluant moins les « business plan » que la personnalité du créateur.

 

S'endetter, tout de suite

 

Au commencement de l'entreprise, lorsque le capital est investi, il ne faut pas hésiter à solliciter les banques sans attendre. Des dispositifs d'aide au crédit existent pour les créateurs d'entreprise, et ne pourront plus être utilisés par la suite. Notamment, le prêt à la création d'entreprise : un prêt totalement garanti par l'Etat, que toutes les banques sont censées proposer. Il est accompagné d'une enveloppe de crédit bancaire « classique » dont une partie, également, est garantie par l'Etat.
Ce crédit peut être affecté à des investissements matériels, comme le mobilier, les ordinateurs ou un outil de production. En effet, les banques préfèrent financer ce type de dépense plutôt que l'investissement immatériel, ou le besoin en fonds de roulement.

Même si le recours à l'emprunt ne paraît pas nécessaire à première vue ; les conditions de crédit à la création sont plus faciles qu'au cours des premières années de l'entreprise, surtout si elle fait des pertes. Par ailleurs, on peut aussi garder en mémoire que les intérêts des crédits sont déductibles du résultat imposable de l'entreprise ; c'est donc fiscalement avantageux d'être financé par la dette.

Lors des premiers échanges avec la banque, celle-ci demandera probablement une caution solidaire du dirigeant. C'est à dire que le dirigeant s'engage personnellement à rembourser la banque si l'entreprise ne peut plus le faire. Cela signifie que le créateur engage son patrimoine au-delà du capital de l'entreprise. La caution solidaire paraît inévitable dans de nombreux cas. Par contre, il faut en négocier les conditions : elle ne doit pas engager le conjoint du créateur ; elle doit être limitée au montant des crédits qui n'ont pas de garantie de l'Etat ; le montant doit diminuer chaque année quand le crédit est remboursé.

Il faut hélas souligner que les banques ne se battent pas pour avoir des créateurs d'entreprise comme clients. Nombre d'entre elles refusent purement et simplement d'ouvrir des comptes professionnels. Pour elles, il s'agit d'une clientèle risquée, même si les crédits initiaux sont garantis comme nous l'avons vu plus haut. Pourtant, un partenaire bancaire qui comprend le projet d'entreprise est un atout indispensable pour le créateur. A ce stade, l'accompagnement des créateurs dans des réseaux (pépinières, incubateurs, réseaux d'entrepreneurs …) leur permet d'avoir plus de poids pour négocier avec les banques.

Plus tard dans la vie de l'entreprise, il est utile d'avoir un deuxième partenaire bancaire. En effet, les conditions et les services proposés peuvent évoluer, et il sera utile pour le créateur de comparer l'offre de plusieurs banques.

En synthèse, on peut prendre l'exemple d'un projet d'entreprise qui a nécessité 30 k€ d'investissement initial, plus 40 k€ pour le financement des pertes des deux premières années, et 30 k€ pour le besoin en fonds de roulement et les aléas de la vie de l'entreprise ; soit 100 k€ de besoin de financement total. Ce projet a été financé par 30 k€ d'apport des fondateurs, 40 k€ de prêt d'honneur, 8 k€ de prêt à la création d'entreprise, 22 k€ de prêt bancaire dont 50% garantis par l'Etat et une caution solidaire du dirigeant pour les 50% restants. L'entreprise ainsi financée a atteint le seuil de rentabilité au bout de 3 ans avec un chiffre d'affaires de 700 k€.

 

La trésorerie, c'est la vie

 

Lorsque le créateur d'entreprise a mobilisé son financement, l’entreprise peut démarrer. L'ensemble des charges, fournisseurs, masse salariale, taxes, sera payé par une seule source de revenus : les clients. Trouver des clients sera probablement la mission la plus importante du créateur durant ces premières années. C'est le chiffre d'affaires qui sera l'indicateur de la progression et de la réussite de l'entreprise sur le long-terme.


Pourtant, la santé de l'entreprise, sa vie ou sa mort sera conditionnée à toute autre chose : sa trésorerie. Si à un instant du parcours de l'entreprise, l'argent vient à manquer, alors tout peut s'arrêter, même si les succès commerciaux sont au rendez-vous. Le scénario catastrophe peut être déclenché par un seul incident de paiement : chèque refusé, suppression de lignes de crédit ou de découverts, notation dégradée chez les assureurs-crédits, raccourcissement du délai de paiement des fournisseurs, augmentation du besoin en fonds de roulement, baisse plus grande de la trésorerie, défaut de paiement déclaré par un créancier au tribunal. Nombre d'entrepreneurs ont tout perdu dans cette spirale infernale. Pourtant, les partenaires de l'entreprise (banque, clients, fournisseurs) ont tous intérêt à ce qu'elle tienne bon ; le créateur doit s'employer à bien communiquer avec eux lorsqu'il rencontre des difficultés.

Le créateur doit mettre en place une organisation qui permette un bon encaissement de ses factures : demandes d'acomptes, paiement d'avance, prélèvement automatique, souscription à une prestation d'assurance-crédit ou de recouvrement. Il fera très attention à la commande publique : il arrive que l'Etat ne respecte pas la loi et paye très au-delà du délai légal de 60 jours… D’ailleurs, parfois mieux vaut refuser une commande que de gérer les créances clients.

Si la trésorerie est tendue, le créateur pourra faire appel à un mode de financement particulier : le découvert. Celui-ci est parfois utile pour faire face à des mouvements de fonds importants au cours du mois. Il ne peut pas être un instrument de financement à long-terme. Le banquier, qui exigera probablement la caution solidaire du dirigeant pour le montant du découvert, peut supprimer son autorisation sans motif du jour au lendemain.

 

Financer le développement

 

Lorsque le créateur a passé l'étape de la rentabilité, il se pose la question du développement. Celui-ci peut être lié à l'innovation, ou tout simplement à la montée en régime de ses activités. Différents dispositifs existent pour soutenir ce développement.

Oséo, la banque publique des PME, est un acteur majeur pour ce type de besoins. Un certain nombre de crédits sont proposés, souvent en partenariat avec les banques. Un point commun à toutes ses interventions : elles se limitent aux fameux « fonds propres ». L'aide au développement sera plafonnée à l'argent que le créateur a investi initialement (le capital) et à la somme des bénéfices réinvestis dans l'entreprise. Le créateur devra avoir à l'esprit que la présentation de ses comptes chaque année est aussi un exercice de communication financière.

Si l'entreprise est innovante, alors il faut utiliser le « crédit impôt-recherche ». Ce dispositif permet de financer 30% des dépenses liées à l'innovation ou à la recherche. Il est encore méconnu de certains créateurs, mais il est incontournable. Dans les 8 premières années de la vie de l'entreprise, il pourra aussi obtenir le statut de « jeune entreprise innovante » si ses dépenses liées à l'innovation dépassent 15% de ses charges totales. Ce statut permet de réaliser des économies de charges et d'impôt.
Enfin, le créateur peut également obtenir des subventions. Celles-ci sont souvent versées par les collectivités ; dans de nombreux cas en soutien à des projets qui favorisent l'emploi.

 

Le capital-risque, pour quels projets ?

 

Les financements qui ont été présentés jusqu'ici laissent le créateur (et éventuellement sa famille) avec 100% des parts du capital de son entreprise. A l'inverse, le capital-risque consiste pour le créateur à céder une part de l'entreprise, contre une augmentation de capital souscrite par des tiers. Généralement, la prise de participations de l'investisseur est minoritaire, ce qui laisse le contrôle opérationnel aux fondateurs.

Ce type de financement n'est pas adapté à tous les projets. En effet, s'il est possible de « lever » des montants assez importants (à partir de 100 k€ pour des particuliers « business angels » ; à partir de 1 M€ pour des organismes de capital-risque) ; le problème est la sortie de l'investisseur. Ce dernier prend un risque très important, il exigera donc un retour sur investissement élevé, dans un délai court (par exemple : trois fois sa mise au bout de 4 ans). Le développement de l'entreprise doit donc être très rapide (croissance de l'activité supérieure à 50% par an, par exemple). Cela peut être le cas pour des entreprises qui ambitionnent d'être leaders sur des nouveaux marchés ; ou qui ont un avantage concurrentiel liée à une technologie ou un brevet.

Par ailleurs, la « sortie » de l'investisseur ne peut plus se faire lors d'une introduction en Bourse, car ce phénomène a quasiment disparu ; il faudra soit que le créateur rachète au prix fort les parts de l'investisseur (en empruntant), soit que l'investisseur les revende à un acteur du marché, donc à un concurrent… ce qui peut aller contre les intérêts du fondateur. En revanche, si ce dernier souhaite revendre à prix fort son entreprise, les investisseurs dans son capital vont l'aider dans la recherche d'acquéreurs pour un prix de transaction élevé.

Attention à un autre piège, car si l'entreprise marche bien, mais de façon moins spectaculaire que prévu, le créateur peut tout perdre. En fonction du pacte d'actionnaires, les investisseurs peuvent forcer la vente de l'entreprise, récupérer leur mise préférentiellement, et laisser le fondateur sur le carreau. L'arme du capital-risque est donc à double tranchant, elle ne remplace pas le financement bancaire pour des projets au développement plus « traditionnel ».


Le créateur d'entreprise sera confronté à l'argent tout au long de son parcours. Au commencement, pour réunir les fonds nécessaires ; au quotidien pour surveiller la trésorerie ; à la fin pour négocier la transmission de son entreprise. Pourquoi crée-t-on une entreprise ? Pour son épanouissement personnel, pour créer quelque chose, pour être son propre patron ; pour l'argent aussi ! L'argent doit être l'allié du créateur d'entreprise, et non son ennemi ; celui-ci doit apprendre à s'en servir comme d'un outil, et garder son indépendance.

 

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