Pierre Jacques CASTANETLes entreprises sont confrontées à une crise d’une grande amplitude qui est source de grandes difficultés pour les salariés. Certains ont déjà perdu leur emploi et les autres se demandent quand ils connaitront le même sort.

La gravité de la situation auxquelles s’ajoutent parfois des erreurs de comportement et de communication entrainent une radicalisation des relations sociales qui se traduit notamment par les séquestrations et les autres formes de violences auxquelles sont désormais exposés les employeurs dès qu’un plan social est annoncé.

A cette situation conjoncturelle, s’ajoutent 3 autres raisons qui méritent de s’interroger sur les alternatives aux licenciements économiques :

 

  • Outre leur cout financier (en particulier les indemnités supra légales ou conventionnelles), il existe avec les licenciements économiques une réelle insécurité juridique au regard des incertitudes que recèlent les notions de sauvegarde de la compétitivité et de secteur économique envisagé au plan européen ou mondial.
  • Se présentant comme les derniers remparts de la protection de l’emploi, les décisions de justice sont d’une extrême sévérité pour les entreprises. En témoignent les lourdes condamnations qui sanctionnent des plans sociaux bâclés ou des situations où l’exigence d’une recherche sérieuse et bonne foi de reclassement n’a manifestement pas été respectée,
  • Enfin, les entreprises ne veulent pas être démunies des forces de travail et des compétences dont elles auront besoin lorsque que viendra la reprise. A cela s’ajoute que les coupes brutales traumatisent « les rescapés » ou à tout le moins contribuent à l’affaiblissement de l’adhésion des salariés à leur entreprise.


Les employeurs les plus responsables sont donc désormais convaincus que tout commande que d’autres solutions que le licenciement économique doivent être mises en œuvre. Si le recours au licenciement économique ne peut pas être évité, les ruptures des contrats de travail ne seront légitimes que si l’employeur fait la preuve qu’il a fait, en amont, tous ses efforts en matière de formation, d’adaptation et de reclassement. Enfin, les ruptures elles-mêmes doivent-elles être nécessairement des licenciements économiques ?

C’est pourquoi sera brièvement examiné dans un premier temps les mesures autres que les ruptures (1) et dans un second, les ruptures autres que les licenciements économiques (2).

1.    Les mesures autres que les ruptures :


Au-delà des mesures connues que sont la GPEC (Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) (a) et le recours au chômage partiel (b), il ne faut pas négliger toutes les possibilités qu’offre le pouvoir de direction dans l’exécution et le déroulement du contrat de travail qui seront autant d’obstacles sinon de « ralentisseurs » à l’engagement de procédures de licenciements économiques (c).

a.    La GPEC


Après de légitimes hésitations tant au niveau de la jurisprudence que pour la doctrine, il semble désormais acquis que la GPEC ne doit pas être réduite à n’être qu’une étape formelle et préalable au licenciement économique. L’ANI du 14 novembre 2008 l’affirme sans ambigüité : « … elle n’est donc pas une étape préalable aux procédures de licenciements collectifs et aux  PSE qui obéissent à des règles spécifiques et doit, de ce fait, être dissociée de leur gestion ».

La reconnaissance d’une spécificité de la GPEC en tant que telle appelle en particulier deux observations :

• La première relève du paradoxe :

la finalité de la GPEC est d'anticiper les évolutions prévisibles des emplois et des métiers, des compétences et des qualifications, liées aux mutations économiques, démographiques et technologiques prévisibles, au regard des stratégies des entreprises, pour permettre à celles-ci de renforcer leur dynamisme et leur compétitivité et aux salariés de disposer des informations et des outils dont ils ont besoin pour être les acteurs de leur parcours professionnel au sein de l'entreprise ou dans le cadre d'une mobilité externe.

Une anticipation menée avec efficacité permettra donc d’organiser très amont tous les reclassements au sein de l’entreprise, voire d’en épuiser toutes les possibilités. Dés lors si des événements imprévisibles rendent inévitables des licenciements ultérieurs, les opportunités de reclassement seront inversement proportionnelles à la réussite de la GPEC.  En d’autres termes, la faiblesse des possibilités de reclassement à l’occasion d’un licenciement économique ne privera pas forcément ce dernier de cause réelle et sérieuse si l’entreprise peut justifier de ses efforts passés en application de la GPEC.

• La seconde tend à reconnaitre la nécessité de généraliser la GPEC :

La  loi n’impose d’engager une négociation sur la GPEC que pour les entreprises d’au moins 300 salariés, lesquels doivent de toute façon informer et consulter au moins une fois par an le Comité d’entreprise sur ce thème (articles L 2242-15 & L 2323-56 du code du travail). Toutefois, il serait peu prudent que les PME ne se saisissent pas d’une réflexion sur la GPEC. En effet, l’obligation d’adaptation et d’assurer la plus grande employabilité à son personnel n’est pas à la charge des seules grandes entreprises et rend donc dans les faits indispensable la généralisation d’une consultation des institutions représentatives du personnel sur le thème de l’employabilité des salariés.

b.    Le chômage partiel :


Les salariés qui, tout en restant liés à leur employeur par un contrat de travail, subissent une perte de salaire imputable, soit à la fermeture temporaire de leur établissement, soit à la réduction de l'horaire habituel de travail pratiqué dans l'établissement en deçà de la durée légale de travail de 35 heures, peuvent bénéficier d'une indemnisation au titre du chômage partiel, une fois l’accord donné par la DDTEFP.
L’ampleur de la crise actuelle a conduit à un véritable regain d’intérêt pour le recours au chômage partiel, encouragé d’ailleurs par l’Administration elle-même qui incite à une : « une application dynamique du dispositif » (Instruction DGEFP 25 novembre 2008).
Il est important de rappeler qu’une demande au titre du chômage partiel ne doit pas être un préalable à d’inévitables licenciements économiques à venir, mais doit s’inscrire dans une démarche préventive pour faire face à une baisse seulement temporaire d’activité.
L’idée que le chômage partiel n’est pas la première étape d’un licenciement pour motif économique vient d’être confortée par un décret du 29 avril 2009 qui institue le dispositif de l’activité partielle de longue durée qui permet aux salariés de bénéficier d’une allocation complémentaire à l’allocation de chômage partiel. En effet, cet avantage a pour contrepartie l’engagement de l’employeur à maintenir l’emploi.
Par ailleurs, les entreprises ayant recours au mécanisme du chômage partiel doivent être averties que l’Administration exige, ce qui est légitime, un compte rendu précis et complet des réductions effectives des heures de travail. La conséquence évidente est qu’une entreprise ne peut sérieusement envisager le chômage partiel que si elle est en mesure de contrôler et d’apprécier très précisément le temps de travail de ses salariés, ce qui aujourd’hui est loin d’être le cas pour nombre d’entreprises …

c.    Les autres mesures :


C’est ici que la réflexion sur le pouvoir de direction de l’employeur reprend tout son sens, sachant que ce dernier sera sans cesse encadré d’une part par la justification constante que toute décision doit répondre aux intérêts légitimes de l’entreprise et d’autre part par le droit au refus du salarié si son contrat de travail s’en trouve modifié.
Plusieurs pistes peuvent donc être envisagées :

• L’aménagement du temps de travail :

Si généralement les possibilités de réduction du temps de travail ont toutes été épuisées, on peut penser qu’il n’en est pas de même s’agissant de l’aménagement du temps de travail.
Au plan collectif, il faut rappeler que la loi du 20 aout 2008 a singulièrement simplifié les règles permettant de mettre en œuvre, certes dans le cadre d’un accord collectif, l’annualisation et par là même la modulation du temps de travail. Dés lors, la période actuelle doit être l’occasion de réviser avec les partenaires sociaux de l’entreprise, les accords existant pour autoriser de plus fortes amplitudes entre les périodes basses et les périodes hautes de travail.
Au plan individuel, force est de constater qu’avec les 35 heures et le développement des comptes épargne temps, il n’est pas rare que les salariés disposent d’un volume important de jours de repos en plus des congés payés proprement dits. C’est pourquoi pour pallier des baisses d’activité, tout en respectant les droits des salariés limitant les possibilités pour l’employeur de modifier l’ordre et les dates de départ en congé (article L 3141-16 du code du travail), l’initiative peut être prise d’inciter les salariés à la prise de congés. On peut à ce titre envisager de rendre encore plus favorable les règles relatives au fractionnement des congés payés.


• La réduction du salaire :


Sans contestation possible, la réduction du salaire est une modification du contrat de travail qui exige l’accord écrit du salarié. La question est de savoir s’il existe une autre voie que celle prévue par l’article L 1222-6 (envoi d’une LRAR faisant courir un délai de réflexion d’un mois). Interrogation incongrue il y a encore quelques mois, l’actualité rend compte d’un nombre non négligeable d’entreprises, et singulièrement de PME, qui ont recours à une pratique concertée de la baisse de salaire. Pour avoir quelques chances d’y parvenir, plusieurs conditions doivent être respectées, en plus de l’accord écrit des salariés concernés :
-    Organiser préalablement une information et consultation auprès du CE, voire des délégués du personnel pour les sociétés de moins de 50 salariés,
-    Encourager l’exemplarité en s’adressant, dans un premier temps, aux seuls dirigeants et cadres de la société,
-    Prévoir une baisse de rémunération limitée dans le temps et l’assortir d’un engagement pendant cette période de ne pas prononcer de licenciements économiques.

• La mobilisation du DIF :

Les périodes de baisse d’activité doivent être mises à profit pour organiser une incitation à mobiliser les droits au titre du DIF. L’objectif est de mettre à profit les périodes de crise pour faire des mises à niveau pour ne pas être démuni au moment de la reprise, voire pour anticiper une reconversion partielle sur une nouvelle activité. Certaines entreprises sont mêmes allées jusqu’à organiser des sessions de formation pendant les périodes de chômage partiel (Accord PSA du 6 avril 2009).

• Le prêt de main d’œuvre :

En l’état, il s’agit d’une initiative locale entre l’UIMM et les syndicats de salariés. Le principe consiste à permettre à une entreprise en baisse d’activité de mettre une partie de ses salariés à la disposition d’une autre entreprise qui dispose d’un carnet de commande soutenu. Solution « gagnant/gagnant » puisqu’elle permet à la première de ne pas licencier et à la seconde de bénéficier de compétences immédiatement opérationnelles.
Ce prêt de main d’œuvre ne peut, à l’évidence, s’inscrire que un large consensus recueillant un triple accord, celui des entreprises, celui des représentants du personnel et bien sûr celui des salariés.

2.    Les ruptures autres que les licenciements économiques :

Si les ruptures du contrat de travail deviennent inévitables, on peut s’interroger pour savoir si le licenciement économique subi est la seule solution.
S’il faut se méfier d’un recours intempestif à la rupture conventionnelle (a), il parait opportun de privilégier les départs volontaires (b).

a.Sur l’utilisation à bon escient de la rupture conventionnelle :

Issue de l’ANI du 11 janvier 2008 et consacrée par la loi du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle constitue une rupture du contrat de travail de « gré à gré » présentant le triple avantage de ne pas avoir à justifier d’un motif de rupture, d’assurer, dans une certaine limite, une exonération des indemnités de rupture, et de permettre au  salarié de bénéficier des allocations de chômage.

S’il est certain que la rupture conventionnelle est exclue dans le cadre des accords de GPEC et dans le cadre de la mise en œuvre des plans de sauvegarde de l’emploi, qu’en est-il dans les autres hypothèses, et singulièrement dans le cadre des « petits licenciements économiques » (moins de 10 salariés sur 30 jours) ?

La circulaire DRT du 17 mars 2009 apporte un commencement de réponse en précisant qu’ »il convient d’être particulièrement vigilant sur les ruptures conventionnelles qui seraient conclues en vue de contourner les garanties en matière de licenciements économiques et collectifs » tout en mentionnant qu’elles ne sont pas exclues mais que « le caractère coordonné et organisé des ruptures conventionnelles peut, en revanche, constituer un indice additionnel. »

Formulation alambiquée qui rend bien compte d’une évidence que les praticiens avaient déjà anticipée :

-    La rupture conventionnelle ne peut pas être un outil pour l’entreprise dans le cadre d’un processus de réduction d’effectif pour motif économique,

-    La rupture conventionnelle doit être exclusivement utilisée dans les cas, où dans les faits, c’est le salarié qui lui-même manifeste la volonté de partir, volonté qui rencontre celle de l’employeur. Le conseil est alors peut-être de préciser dans l’accord scellant la rupture conventionnelle que le salarié dispose d’un projet personnel ou professionnel sans rapport avec la situation de l’entreprise.

b. Les avantages des plans de départs volontaires :

En principe un plan de départs volontaires s’inscrit dans le cadre d’un constat de difficultés économiques (ou de réorganisation nécessitée par la sauvegarde de la compétitivité) avec nécessité de supprimer des emplois mais en offrant la possibilité de se porter volontaire au départ.
Il est certes acquis qu’en l’espèce, l’information et la consultation du comité d’entreprise est incontournable, voire que la procédure spécifique de consultation en matière de licenciements économiques s’applique. Toutefois, la jurisprudence est ici en cours de construction, et déjà les juges du fond ont notamment décidé que l’obligation de reclassement interne ne s’appliquait pas (CA Versailles 1er avril 2009).
Par ailleurs, le plan de départs volontaires présente deux indéniables avantages pour l’employeur : 

-    Sous réserve de poser des conditions objectives sur les possibilités de refus d’accepter tel ou tel candidat au départ volontaire, l’employeur conserve la maitrise des compétences qui lui sont indispensables pour poursuivre son activité. En effet, un plan de départ volontaire ne doit pas avoir pour effet de voir partir les salariés dont l’entreprise a un impérieux besoin.
-    D’autre part et surtout, l’employeur n’a pas à faire le choix des salariés licenciés après avoir procédé à l’exercice toujours délicat de la mise en pratique des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements. En d’autres termes, en évitant les licenciements subis, l’entreprise conforte ceux qui restent et limitent les risques de contestations ultérieures.

En conclusion, mesure ultime et définitive, le licenciement économique doit le rester, sauf à entrainer l’entreprise sur le terrain de l’insécurité et du conflit. S’il n’est bien sûr pas toujours possible d’éviter les licenciements économiques, il faut affirmer que tous les efforts déployés en amont pour retarder l’échéance, ne sont pas vains et restent indispensables.

Pierre Jacques CASTANET

Pierre-Jacques CASTANET
Avocat Associé - Cabinet IDAVOCATS
http://www.idavocats.com